Je me sens heureux et privilégié d'avoir relancé le podcast Thoughtleaders. La possibilité d'échanger avec des invités venant d'horizons divers et d'écouter leur point de vue sur l'enseignement supérieur, l'IA ou l'expérience d'apprentissage contemporaine est une véritable mine d'or. Commençons cette nouvelle saison avec un échange que j'ai eu avec mon ami Fabio Ciquera, expert en marketing du luxe et directeur de programme à l'université Ravensbourme de Londres.
Il ne fait aucun doute que l'enseignement supérieur est depuis longtemps empêtré dans un paradoxe : d'une part, il est considéré comme un moteur de mobilité sociale, une porte d'accès aux opportunités ; d'autre part, il renforce souvent l'exclusivité, avec des institutions prestigieuses fonctionnant comme des clubs d'élite plutôt que comme des catalyseurs de la transformation. Si vous suivez régulièrement mes réflexions et mes idées, vous vous souvenez certainement que j'ai parlé de cette énigme à plusieurs reprises. L'enregistrement de l'épisode du podcast avec Fabio m'a apporté des éléments de réflexion concrets.
Et si nous redéfinissions le concept de « luxe » dans l'éducation ? Plutôt que d'associer le luxe à des frais élevés et à l'exclusivité, Fabio Ciquera plaide pour un « Luxury Mindset », une réorientation cruciale de l'enseignement supérieur vers la transformation, un objectif profond et une qualité qui transcende les coûts. Là où je parlais et pensais à une expérience... le concept a maintenant évolué vers un état d'esprit de luxe à multiples facettes pour toutes les parties prenantes impliquées !
Du service (expérience) à la transformation
De nombreuses institutions abordent l'éducation comme elles le feraient avec un service : les étudiants paient, les universités fournissent, et la satisfaction est mesurée en termes d'équipements et de classements (parfois même en Ebidta). Comme je l'ai souvent indiqué dans mes newsletters, ce modèle transactionnel reflète le mode de fonctionnement des hôtels de luxe, qui offrent des expériences haut de gamme en échange d'un prix élevé. Mais la véritable éducation, selon Ciquera, devrait être une transformation réelle et tangible ; pas seulement une expérience d'apprentissage agréable dans un “safespace” confortable, mais un changement profond dans la perspective, les capacités et le potentiel de l'apprenant.
Une université contemporaine ne devrait donc pas se contenter d'offrir une « bonne expérience » ou d’avoir un taux d'insertion professionnelle à la hausse. Elle devrait plutôt se poser la question : Comment changer la vie de nos étudiants et de nos enseignants, tout en favorisant l'innovation dans les entreprises ?
En ce sens, l'état d'esprit du luxe n'est pas une question d'indulgence, mais d'impact. Il exige des institutions qu'elles cessent de considérer l'éducation comme un processus passif et qu'elles créent au contraire des espaces où les apprenants sont mis au défi, remodelés et activement habilités à faire face aux complexités du monde et à les reconnaître !
Poser les bonnes questions : Le « pourquoi » et le « qui »
Le processus d'admission doit commencer par une enquête fondamentale sur soi-même. Par exemple, avant de s'inscrire à un programme de master, les étudiants doivent se poser la question suivante et se la faire poser : Qu'est-ce que je veux/vous voulez retirer de ce programme ? Qu'est-ce que je veux/vous voulez en retirer ? Qui veux-je/veux-tu devenir ? L'état d'esprit du luxe encourage les éducateurs et les étudiants à s'engager profondément dans ces questions. À la fin du programme, les étudiants ainsi que les profs devraient ou pourraient être évalués par rapport aux objectifs d'apprentissage ou de croissance qu'ils se sont fixés.
Malheureusement, trop souvent, les étudiants poursuivent des études sans but précis, considérant l'enseignement supérieur comme une étape suivante par défaut, un diplôme nécessaire pour obtenir un emploi, un meilleur emploi, plutôt qu'une décision intentionnelle. Les universités, quant à elles, se concentrent trop souvent sur la vente de programmes plutôt que sur la promotion d'une réflexion critique. Si l'enseignement supérieur adoptait l'état d'esprit du luxe, il donnerait la priorité à l'orientation des étudiants vers des parcours d'apprentissage significatifs et pertinents sur le plan personnel, plutôt que de se contenter d'augmenter le nombre d'inscriptions. Même si le premier acte, s'il est bien fait, n'exclut certainement pas le second de s'épanouir !
L'état d'esprit avant le prix : Le luxe en tant qu'éthique
Le luxe est souvent considéré comme synonyme de dépenses. Mais dans les marques de luxe «réelles et crédibles», l'excellence n'est pas vraiment une question de coût, mais plutôt un engagement sans compromis en faveur de la qualité et de la personnalisation. Dans le domaine de l'éducation, adopter une mentalité de luxe signifie favoriser un engagement intellectuel profond et le mentorat, et non pas simplement facturer des frais élevés liés à une expérience d'architecture ou de design d'intérieur digne d'une page dans le magazine AD.
Les établissements d'élite s'appuient souvent sur la puissance de leur marque plutôt que sur leurs pratiques éducatives spécifiques pour justifier leur prestige. Mais une véritable mentalité de luxe signifierait que chaque établissement, quelles que soient ses ressources financières, se concentre sur la fourniture d'une éducation riche, adaptée et transformatrice. Au lieu d'assimiler l'exclusivité à la supériorité, nous devrions probablement redéfinir la qualité comme l'accès à des expériences d'apprentissage profondes et transformatrices pour tous.
Reprogrammer les institutions : La création de valeur plutôt que la tradition
Comme l'a mentionné Ciquera, dans l'industrie du luxe, les marques doivent investir massivement dans la formation de leur personnel pour qu'il incarne l'état d'esprit du luxe. Les employés doivent apprendre de manière proactive à aller au-delà du service à la clientèle classique et connu pour créer un engagement profond et significatif avec les clients. De même, les acteurs du secteur de l'enseignement supérieur doivent reprogrammer leur approche, en passant de structures rigides et de pédagogies dépassées à une véritable compréhension des besoins des étudiants, des enseignants et des partenaires, et à la satisfaction de ces besoins.
Trop d'universités sont encore organisées et gérées pour une économie de l'ère industrielle, avec des programmes standardisés et un enseignement passif basé sur des cours magistraux. Une mentalité de luxe appellerait activement à repenser radicalement les structures et les processus éducatifs et, en fin de compte, leur « raison d'être ».
Inclusivité et excellence : Ne s'excluent pas mutuellement
L'un des paradoxes du luxe est qu'alors qu'il est associé à l'exclusivité, il se nourrit de l'inclusivité des idées, des talents et des points de vue. La véritable innovation se produit lorsque des voix diverses s'expriment dans la conversation.
L'enseignement supérieur devrait adopter ce principe, en veillant à ce que l'excellence ne soit pas synonyme d'exclusion. Nous devons rejeter l'idée que seuls ceux qui peuvent se permettre des frais de scolarité exorbitants méritent une éducation de haute qualité. Au contraire, la mentalité du luxe devrait consister à démocratiser l'excellence, en offrant à chaque étudiant un environnement où il se sent valorisé, soutenu et mis au défi d'atteindre son plein potentiel. Un sentiment d'appartenance réel et sincère !
L'avenir de l'enseignement supérieur : Le luxe comme transformation
Une mentalité de luxe dans l'enseignement supérieur signifie apprendre, embrasser et transcender un engagement inébranlable pour des expériences d'apprentissage profondes et significatives qui préparent les étudiants à réussir tout au long de leur vie. Cela signifie qu'il faut donner la priorité à la transformation plutôt qu'à la transaction, à la recherche personnelle plutôt qu'à la consommation passive, et à l'adaptabilité plutôt qu'à la tradition rigide.
Si les universités adoptaient véritablement cet état d'esprit, elles cesseraient de fonctionner comme des prestataires de services haut de gamme pour devenir des moteurs de changement radical, non seulement pour les étudiants, mais aussi pour la société dans son ensemble. Et c'est, plus que tout, le genre de luxe auquel nous devrions aspirer !
Ce que disent Madame I et Monsieur A sur l’invité
Fabio Ciquera est un expert du luxe avec plus de 25 ans d’expérience. Après des rôles chez Chanel et Zilli, il a dirigé des cours à l’Istituto Marangoni et enseigne aujourd’hui le Luxury Brand Management à Ravensbourne University London. Il collabore aussi avec Sotheby’s Institute of Art et conseille des marques comme Ferrari et Dior.